Friday, September 12, 2014

Michel Jadot : « Les pensions vont baisser »



Le Soir
Samedi 13 et dimanche 14 septembre 2014

LA
BELGIQUE
Le spécialiste des Pensions, Michel Jadot, tire à boulets rouges sur les projets de la suédoise en matière de pensions.
Les négociateurs du futur gouvernement ont annoncé qu’ils préparaient une réforme, basée sur le rapport d’expert dévoilé cet été (rapport Vanden-broucke). Pour Michel Jadot,cette réforme paraît séduisante.
« Mais c’est en fait un écran defumée, une supercherie. »
Pour lui, la suédoise ne fait que préparer les esprits à des conditionssociales moins favorables.

1
« Le système à points entraînera une baisse des pensions. »
L’un des piliers de la prochaine réforme des pensions,c’est le système à points. Le principe : pour chaque année de travail au salaire moyen, le futur pensionné engrange un point.
S’il gagne moins que le salaire moyen, il n’aura qu’une fraction de point. Et s’il gagne plus, il aura plus qu’un point. A la fin de sa carrière, le montant de sa pension dépend du nombre de points. Pour Michel Jadot, ce système n’a rien de révolutionnaire.
« La seule révolution, c’est que ça va faire baisser les pensions. Car la valeur du point sera fixée au moment de la prise de pension. Et si la conjoncture est
mauvaise, la valeur du point ensera affectée. »
Pour le reste, estime-t-il, ce système n’apporterait rien de neuf.
« En revanche,il va amener une très grande complexité. Je me demande même s’il sera possible de le mettre en pratique, notamment parce que beaucoup de personnes ont des carrières mixtes (parcequ’ils ont été à la fois indépen-
dants, fonctionnaires ou salariés). »
2
« Les pensions publiques seront les plus touchées. »
Pour Michel Jadot, il ne fait aucun doute que la réforme en préparation va particulièrement toucher les pensions publiques.
« Le projet consiste à calculer les pensions publiques non plus sur la base des dix dernières années de carrière, mais sur l’ensemble de la carrière. De plus, la bonifi-
cation pour les périodes d’études serait supprimée. »
Pour Michel Jadot, pas de doute : « Sous prétexte de convergence entre les sys-
tèmes de pensions (privé, fonctionnaires, indépendants), l’objectif est de diminuer sensiblement les pensions du secteur public et de réaliser à terme des économies substantielles. »
Pour le spécialiste, c’est une injustice.« On va baisser les pensions publiques alors que la hauteur de ces dernières a une justification : dans le secteur public, il n’y a pas de pension complémentaire, alors que 70 % des salariés du privé en bénéficient.»
3
« Le système sera plus inégalitaire. »
L’ancien président de la commission de réforme des pensions estime également que le nouveau paysage des pensions sera inégalitaire. Pourquoi ?
« Parce qu’on se dirige vers un système de capitalisation, et non plus de répartition.»
La répartition, c’est le système actuel. Les personnes qui travaillent financent les retraites des aînés. Dans un système decapitalisation, chacun finance sa retraite future.
« Le risque, c’est qu’à terme, la pension légale disparaisse et qu’il n’y ait plus
qu’un système de capitalisation, où les salariés eux-mêmes sont tenus d’épargner pour leur pension. Je ne m’oppose pas à un système de pension complémentaire, c’est même une bonne chose, mais il ne doit pas remplacer le premier pilier. »
Mais pourquoi un système de capitalisation serait-il injuste ?
« Parce que dans le système actuel, de répartition, les cotisations varient en fonction de la hauteur du salaire. Et il y a aussi des périodes, comme le chômage, qui sont
considérées comme du travail.
Avec un système de capitalisation, tout cela sera terminé. Ce qui se passe, c’est une privatisation larvée des pensions. »
4
« La question du financement n’est pas réglée. »
Pour Michel Jadot, le principal but d’une réforme n’est du reste pas atteint.
« Le but, c’était évidemment de régler la question du financement des pensions.
Mais le rapport qui sert de base aux travaux de la suédoisecontient... deux pages consacrées à la question. Et dans ces deux pages, on enfonce des portes ouvertes, quand je lis des phrases telles que “le relèvement du taux d’emploi est la clé du succès”. Rien de concret. »
5
« Les autres domaines de la Sécu vont trinquer. »
Enfin, Michel Jadot s’inquiète que le débat sur les pensions soit scindé de celui sur le vieillissement.
« On prend les pensions comme un secteur à part et c’est dangereux, parce qu’on remet en cause la gestion globale de la Sécurité sociale, que Jean-Luc Dehaene a
mise en place. »
Et c’est grave ?
« Oui, parce que si on prévoit un mode de financement à part pour les pensions, les autres secteurs de la Sécurité sociale risquent de trinquer. Je pense particulièrement aux soins de santé, avec les risques que celafait peser sur le remboursement des médicaments. »
Le spécialiste ne nie pas toute qualité au rapport qui sert de base au travail de la coalition suédoise.
« Il contient des propositions intéressantes, même s elles ne sont pas novatrices, en
matière de métiers pénibles ou de dimension familiale. »
Mais Michel Jadot n’en est pas moins inquiet pour l’avenir.
« En somme, le principal mérite du projet de réforme résiderait en son blanc-seing donné aux négociateurs de la kamikaze pour faire des pensions un secteur comme un autre sur lequel on pourrait désormais entreprendre, sans gêne aucune, des
mesures d’économie. »
BERNARD DEMONTY

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